Réaction au reportage « Sur le front des forêts » diffusé le 23 mars sur France 5

« SUR LE FRONT DES FORETS »,

reportage diffusé le dimanche 23 mars 2021 sur France 5

 

Les images de guerre sont toujours choquantes, et tel est l’objectif de Hugo Clément : choquer, faire appel aux émotions plus qu’à la réflexion. Si cela suscite la cogitation et l’étude, c’est formidable ; mais n’oublions pas que la grande majorité de la population prend pour vérité ce que disent les media et ne cherche pas plus loin ; c’est donc à ceux qui proposent des reportages de mener ce travail d’interrogation de la réalité en permettant notamment l’échange des idées.

Que donne à voir et à entendre le journaliste ?

  • Un terrain dont le sol semble avoir explosé sous l’effet des bombes : c’est en fait le résultat d’une coupe rase[1] conduite par des engins toujours plus lourds et onéreux qui sont rentabilisés au détriment des arbres et du sol.
  • Des "soldats" embusqués, sans arme autre que la parole ou les banderoles, et le non-respect du droit de la propriété privée : ce sont les bénévoles ou les responsables d’associations, telle ‘Canopées forêts vivantes’, qui ont pris l’écologie comme fer de lance pour dénoncer des pratiques comme celle indiquée plus haut : « ces coupes rases accélèrent le réchauffement climatique », est-il affirmé.
  • Des ‘"ennemis" divers :
  •         ceux qui ne veulent pas que l’on découvre leur activité (exploitation avec des abatteuses),
  •        ceux qui se fondent dans la certification de la gestion durable pour dissimuler l’utilisation de matériaux différents de ceux annoncés (grumes de chêne qui finissent en bois énergie à la place de résidus officiels par exemple)[2],
  •        ceux qui misent sur l’énergie bois (centrale de Gardanne qui se destinerait à la création d’électricité en utilisant du bois énergie, comme à Drax en Grande Bretagne[3] qui entraîne la mise en coupe réglée de forêts entières de l’autre côté de l’Atlantique, c’est-à-dire « l’industrialisation de la forêt », ainsi que des plantations pour remplacer les forêts naturelles),
  •        l’Etat et l’UE qui aident les grosses scieries plutôt que les petites et incitent à planter, plutôt que du feuillu, du résineux   poussant plus vite et plus droit ; cette action politique favorise l’exportation de nos bois en Asie.

 

  • Des "médecins" qui diagnostiquent la souffrance d’une forêt qui est passée pourtant de 14 M d’ha à presque 17 M entre 1985 et 2020, mais dans laquelle les sécheresses répétées et durables provoquent dépérissements, chablis meurtriers et risques accrus d’incendies, tandis que les attaques d’insectes[4] se démultiplient ; la biodiversité est en péril avec les marronniers, les frênes, les ormes et maintenant les châtaigniers et les épicéas qui se raréfient. Face au réchauffement climatique, « seul un couvert continu » peut sauver sols et arbres.
  • Des "‘infirmiers" comme Matthias Bonneau, bûcheron revenu à la tronçonneuse dans sa forêt, ou les agents de l’ONF dans le Massif central qui effectuent un revirement et essaient de créer des forêts mosaïques feuillues, ou encore Lucienne qui a convaincu 900 habitants de racheter une forêt de feuillus dans le Morvan pour lutter contre l’enrésinement, ou une ex-citadine qui organise des ateliers pour les enfants dans les deux hectares qu’elle a acquis, comme le firent autrefois les sociétés scolaires soutenues par le Touring Club et la Société Forestière de Franche-Comté.

Qu’en conclure ?

Que le progrès est l’ennemi de la nature ? Que la forêt est mal gérée et que seules quelques personnes exceptionnelles savent ce qu’est la sylviculture ?

 

Et si nous interrogions cette réalité ?

Qu’attendons-nous de nos forêts ?

Qu’elles assurent une multifonctionnalité à la fois économique, sociale et environnementale. Trois mots qui parlent d’une forêt vivante qui a besoin de se renouveler et d’être entretenue pour apporter à la société comme à la planète une protection. Ceux qui gèrent cette multifonctionnalité sont les forestiers, propriétaires ou professionnels ; si certains fonctionnent encore comme dans les siècles passés où les arbres étaient coupés en fonction de dépenses indépendantes sans réinvestissement, la plupart ont aujourd’hui appréhendé ce monde dont ils ne sont que les transmetteurs dans une chaîne qui traverse les siècles au regard de la croissance d’un chêne par exemple.

Il existe différentes sylvicultures et la plupart du temps celles-ci s’adaptent au terrain, aux arbres qui y poussent, aux besoins de l’industrie également. Le couvert continu que prône Sylvain Angerand, ingénieur forestier qui organise les campagnes de ‘Canopées forêts vivantes’ depuis l’obtention de son diplôme, n’est pas une découverte d’aujourd’hui ; Gurnaud en parlait déjà au XIXe siècle avec la méthode du contrôle, il a été repris tout au long du XXe siècle avec la futaie jardinée et, depuis les années 1980 les adeptes de cette sylviculture systématisée par Pro Silva France à partir de 1990 font des émules ; la futaie régulière est une autre forme de sylviculture, plus répandue, et qui entraîne après plusieurs coupes d’éclaircies les fameuses coupes rases dénoncées dans le reportage : elles sont aujourd’hui limitées par les plans simples de gestion (PSG), mais que proposer face à un peuplement d’épicéas scolytés, peuplement qui n’est pas forcément le résultat de plantations mais peut être aussi celui d’une régénération naturelle ?

Nous oublions le vent de l’histoire, celui qui a poussé les agriculteurs à l’ère de la révolution industrielle puis cent ans plus tard à abandonner leurs terres pour rejoindre la ville : ces terres ont souvent été l’objet de boisements, forcément sous la forme de plantations ; celui qui a poussé à drainer les Landes et les boiser notamment avec le pin qui seul stabilisait les dunes.

 

Qu’attendons-nous du bois produit ?

Sommes-nous prêts à payer le juste prix et à faire tourner notre industrie, comme l’expérimentent les Allemands avec de petites scieries locales qui répondent à leurs besoins ? Ou préférons-nous acheter chez Ikea notre mobilier uniformisé ?

 

Qu’appelons-nous énergie verte ?

 

Nous ne voulons plus du nucléaire pourtant neutre en carbone, étendons à l’infini les champs d’éoliennes et les panneaux solaires sans savoir comment nous recyclerons tous ces objets et le béton enfoui dans la terre, et utilisons de plus en plus de bois pour nous chauffer, nous loger, puisqu’il est issu de la biomasse : oui, mais grand émetteur de CO2 en brûlant. L’énergie verte existe-t-elle ?

 

La conclusion à tirer est donc un peu différente de celle que voudraient le journaliste et les associations qui ont pris la parole. Certes, la vigilance est de rigueur et nombre de forestiers ont à réparer les erreurs commises lorsqu’ils ont préféré les plantations à l’aménagement des forêts en futaies irrégulières ou lorsqu’ils ont accepté de détruire des peuplements de feuillus pour les remplacer par des résineux en plantation monospécifique et à des altitudes périlleuses (épicéa, pin, douglas). Mais cette vigilance nous donne aussi une responsabilité en tant que ‘consommateurs’, celle d’être en cohérence dans nos paroles et nos actes. La forêt n’est pas appelée à devenir un cimetière, elle est à protéger et à vivifier et de manières variées.

 

Alexandra d’Harcourt

avec le concours d’Hubert Dulieu

 

PS : nous nous réjouissons d’apprendre que Fibois demande un droit de réponse à la chaîne de télévision France 5.

 

[1] La plupart des surfaces de coupes rases en résineux (épicéa entre autres) que montre le reportage sont sèches à cause des attaques de scolytes.

[2] Il y a une limite technologique à la préparation de granulés uniquement composés de bois résineux secs : les granulés ne tiennent ensemble que si l’on incorpore une proportion de bois vert ; par ailleurs, les granulés de résineux ont une qualité supérieure à celle des granulés provenant de feuillus, cela devrait ralentir ou supprimer les coupes rases de feuillus destinés à cet emploi.

Le bois-énergie peut être constitué par des plaquettes forestières mais il n’en est pas question dans le reportage car elles ne sont utilisées que par les installations de chauffage collectif (université de Besançon par exemple) ou par l’industrie.

[3] La production d’électricité dans cette centrale nécessite 7,5 millions de tonnes de bois par an et les émanations de CO2 seraient absorbées par les arbres plantés alentours…

[4] Il vaudrait mieux parler de ‘nouvelles maladies à champignons véhiculées par les insectes’.

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